Source : Le Figaro

Depuis dimanche, la justice irakienne a condamné à mort six Français pour appartenance au groupe djihadiste État islamique. L’un d’eux a fait appel. En ce début de semaine, le ministère des Affaires étrangères s’est engagé à les aider pour qu’ils ne soient pas exécutés.

Six Français ont été condamnés à mort par pendaison ces trois derniers jours en Irak pour appartenance au groupe djihadiste État islamique (EI). Des verdicts guère surprenants mais inédits qui soulèvent bien des questions et qui embarrassent la France, opposée à la peine capitale mais aussi au retour de ses djihadistes.

• Ces six condamnés sont-ils «connus»?

Pas du grand public mais les spécialistes de l’antiterrorisme connaissent bien leur parcours et leur profil. Léonard Lopez, 32 ans, a fait partie, dans le courant des années 2000, des membres les plus actifs du site djihadiste francophone de référence d’alors, Ansar Al-Haqq, «les partisans de la vérité». Parti en Irak puis en Syrie en 2015, il a été condamné en son absence en 2018 en France à cinq ans de prison en FranceKevin Gonot, lui, était un proche des frères Clain, qui ont revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 (130 morts) avant d’être tués récemment en Syrie. Il gravitait autour de la filière d’Artigat, à laquelle le tueur au scooter de Toulouse et Montauban Mohamed Merah appartenaitArrêté par les Kurdes en Syrie en 2017, cet homme de 32 ans a déjà été condamné en son absence à neuf ans de prison en France. Le troisième, Salim Machou, 41 ans, a appartenu à la brigade Tariq ibn Ziyad, une cellule d’Européens de l’EI que les autorités américaines décrivent comme un «vivier d’auteurs d’attaques» qui a compté jusqu’à «300 membres». Le quatrième, Mustapha Merzoughi, 37 ans, a suivi «des formations religieuses et militaires à Alep», dans le nord de la Syrie, selon l’AFP. Ce mardi, deux autres ont écopé de la même peine Brahim Nejara, 33 ans, accusé par le renseignement français d’avoir facilité l’envoi de djihadistes vers la Syrie, et Karam El Harchaoui, bientôt 33 ans.

• Comment se déroulent les procès?

Il sont très différents de ceux qui se tiennent en France. Les audiences sont de courte durée, quelques heures seulement, là où un procès pour terrorisme dans l’Hexagone dure, au minimum, plusieurs jours, voire plusieurs semaines. En amont, les juges mènent des interrogatoires qui peuvent prendre de six mois à un an, selonla Cour suprême irakienne. Comme d’autres avocats avant lui,Me Nabil Boudi, qui défend deux mis en cause dont Léonard Lopez, a dénoncé «une justice expéditive» et «un simulacre d’audience». Celle de son client «n’a duré que 10 minutes», s’est-il plaint, critiquant également la rapidité des investigations. «Mon client a été transféré de Syrie vers l’Irak il y a trois mois. On peut s’interroger sur le sérieux de l’enquête qui, en matière criminelle, devrait normalement durer deux à trois ans». Il a déploré aussi l’absence de pièces à charge comme des écoutes téléphoniques, des photos ou des éléments de vidéosurveillance pour appuyer l’accusation et regretté que les avocats de la défense n’aient pas accès au dossier. «S’agissant des djihadistes, les procédures sont très rapides», abonde Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme. «L’avocat peut intervenir mais son rôle est marginal. Quand les faits sont établis, c’est très compliqué de renverser les choses», ajoute-t-il. Les condamnés à mort ont 30 jours pour contester cette décision. Le conseil de Léonard Lopez, avec son confrère irakien, nous a confirmé qu’il avait fait appel.

 

• Que disent les autorités françaises?

La même chose que depuis plusieurs mois. Dans un communiqué publié lundi matin 27 maile Quai d’Orsay a déclaré qu’il faisait les «démarches nécessaires» auprès des autorités irakiennes pour leur rappeler que la France était opposée à la peine de mort mais qu’il respectait la souveraineté de l’Irak. Cette position n’est pas nouvelle. Déjà en juin 2018, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian en dessinait les contours au moment du procès de la Française Mélina Boughedir. Quelques mois plus tard, la garde des Sceaux Nicole Belloubet précisait qu’en cas de condamnation à mort, «l’État français interviendrait, en négociant avec l’État en question». Ce mardi, Jean-Yves Le Drian l’a redit: «Nous multiplions les démarches pour éviter la peine de mort», assurait-il sur France Inter. Une position «ambiguë», voire «contradictoire» contestée par les avocats des mis en cause, qui demandent que leurs clients soient jugés en France: «On ne peut pas être, par principe, contre la peine de mort et envoyer ses ressortissants vers un pays qui pratique cette sentence», a encore réagi Me Boudi, qui attend «une décision forte de la France».

• La justice irakienne va-t-elle écouter la France?

Difficile de le savoir à l’avance mais selon le spécialiste Jean-Charles Brisard, «la France est un pays entendu». «Mon sentiment, c’est que le processus (pour juger les Français soupçonnés d’appartenir à Daech) a été validé en haut lieu et de concert entre la France et l’Irak, donc il n’est pas impossible que la peine soit commuée en réclusion criminelle à perpétuité», estime le spécialiste. En mai 2018, la Belgique, également opposée à la peine de mort depuis 1996, avait fait cette demande pour l’un de ses ressortissants, Tarik Jadaoun. On ignore si la requête a été acceptée mais le condamné semble avoir obtenu un sursis: en octobre dernier, un juge d’instruction bruxellois avait pu l’interroger en Irak, selon le quotidien belge Le Soir.

• Et si la peine capitale est confirmée en appel?

«Il est probable que la France fasse une déclaration pour s’en émouvoir publiquement mais, sauf si cela donne lieu à des manifestations de soutien d’envergure dans le pays pour défendre ces condamnés, ce dont je doute, elle ne pourra rien faire de plus», répondait en février dernier la politologue et spécialiste de l’Irak, Myriam Benraad, interrogée par l’Express .

• Y a-t-il encore beaucoup de Français qui doivent être jugés?

Sur les treize Français transférés en Irak en février, un a été libéré car il n’appartenait pas à Daech et six viennent d’être jugés donc il en resterait six: Fodil Tahar Aouidat, dont le procès a été renvoyé au 2 juin, Yassine Sakkam, Vianney Ouraghi, Bilel Kabaoui, Mohammed Berriri et Mourad Delhomme. Selon plusieurs sources concordantes, tous devraient être jugés dans les jours à venir.

• Y a-t-il déjà eu des Français condamnés à mort?

Non, c’est la première fois qu’une telle peine est infligée à des ressortissants français. En revanche, trois autres ont déjà été été condamnés à la perpétuité, équivalente à 20 ans de détention en Irak: il s’agit de Mélina Boughedir, 27 ans, Djamila Boutoutaou, 28 ans, et Lahcène Gueboudj, 58 ans.

• Des ressortissants étrangers ont-ils déjà été exécutés?

Non. À ce jour, Bagdad a condamné plus de 500 étrangers de l’EI, des hommes comme des femmes, mais aucun n’a encore été exécuté. C’est notamment le cas de plusieurs Belges mais aussi d’une Allemande. En Irak, les exécutions ont lieu par pendaison et interviennent quelques semaines après le jugement.