Source : L’Express (Interview de Jean-Charles Brisard, Président du CAT)
Cinq questions sur le transfert de djihadistes français en Irak
La France s’évite-t-elle le casse-tête d’un rapatriement de ces djihadistes sur son territoire, en les laissant en Irak?
Des « éléments de Daech », c’est le terme employé lundi par le président irakien pour évoquer ces djihadistes étrangers. Alors qu’il était de passage en France, Barham Saleh a annoncé lors d’une conférence de presse que 13 djihadistes présumés français, arrêtés en Syrie, ont été remis aux autorités irakiennes par les forces arabo-kurdes. « Il ne s’agit pas d’accueil », mais de « les juger devant des tribunaux irakiens », a insisté le chef d’État, devant Emmanuel Macron.
L’Express fait le point sur ce transfert, qui intervient alors que la France s’attend à un afflux de « revenants » sur son territoire les prochains mois.
Emmanuel Macron a refusé de confirmer lundi que des Français étaient concernés par cette remise aux autorités irakiennes et très peu d’informations ont filtré sur leur identité, nous confirme Jean-Charles Brisard, du centre d’analyse du terrorisme. Ces individus font probablement déjà l’objet d’une procédure judiciaire en France, comme chaque djihadiste français qui a rejoint les rangs de Daech. On ignore par ailleurs s’il y a parmi eux des mineurs.
« Pour les Français majeurs détenus transférés » en Irak par les FDS (l’alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes), » ils relèvent d’abord des autorités de ce pays, à qui il revient de décider souverainement s’ils doivent faire l’objet de procédures judiciaires sur place », a seulement indiqué le chef de l’État.
Que leur est-il reproché?
Selon le président irakien, ils ont été capturés « dans le cadre d’opérations militaires ». « Ils sont accusés d’avoir commis des crimes contre des Irakiens, contre des installations irakiennes en Irak, ils seront jugés selon la loi irakienne, et c’est ce que le droit international reconnaît », a-t-il justifié lundi.
L’expert irakien des questions djihadistes, Hicham al-Hachemi, interrogé par l’AFP, assure que ces treize Français ont combattu contre les forces irakiennes en Irak dans le passé. Il faut savoir que la loi irakienne prévoit la peine capitale pour toute personne qui a apporté un soutien matériel à une organisation extrémiste, même si elle ne s’est pas engagée directement dans des combats.
Comment ont-ils été arrêtés?
Le Monde émet des réserves quant aux conditions de leur capture. Ces individus ont-ils vraiment, comme l’a annoncé le président de l’Irak lundi, été remis aux autorités de son pays par les forces arabo-kurdes (FDS), après une arrestation en Syrie ?
Jeudi dernier, les autorités irakiennes ont annoncé détenir des étrangers – dont 13 des Français, selon des médias locaux -, à la suite « d’une opération d’infiltration transfrontalière ‘en territoire syrien' », écrit le quotidien.
Hisham Al-Hashimi, cité par Le Monde, avait assuré dès vendredi que « 12 membres français [de l’EI] et un Tunisien résidant en France ont été transférés de Syrie vers l’Irak lors d’une opération coordonnée entre la coalition internationale et des services de renseignements irakiens ».
Pourquoi maintenant ?
Pour les Kurdes, qui détenaient donc peut-être ces djihadistes, le temps presse. Cela fait déjà plusieurs mois qu’ils demandent le rapatriement de ces derniers vers leurs pays d’origine, alors que certains se trouvent dans leurs geôles depuis parfois plusieurs années.
Le retrait progressif des forces américaines de la zone, qui consistait en un soutien financier de taille pour ces Kurdes, notamment dans la gestion des prisonniers, est un facteur d’accélération majeur de ces transferts, alors que les pays d’origine de ces djihadistes rechignent bien souvent à les recueillir. La France refuse par ailleurs que ses ressortissants soient jugés par l’administration kurde, qui n’est pas reconnue internationalement.
Quelle stratégie pour la France ?
Actuellement, l’Hexagone s’attend à un retour sur son territoire d’environ 130 à 150 djihadistes français, dont une grande majorité d’enfants.
La semaine passée, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a réaffirmé que leur rapatriement continue « au cas par cas », alors que le président américain Donald Trump avait exhorté un peu plus tôt ses alliés européens à « reprendre » ces combattants de Daech capturés en Syrie, afin de les traduire en justice. « Lorsque des personnes de retour des terrains de combat arrivent, nous les judiciarisons (…) Pour le moment nous restons sur cette politique-là », a aussi détaillé la ministre.
« Ce sont les Kurdes qui les détiennent et nous avons toute confiance dans leur capacité à les maintenir » en détention, avait de son côté répliqué sur BFMTV le secrétaire d’État français à l’Intérieur Laurent Nuñez. « Quoi qu’il en soit, si ces individus reviennent sur le territoire national, ils ont tous des procédures judiciaires en cours, ils seront tous judiciarisés et incarcérés », a-t-il ajouté.
La solution irakienne
L’une des solutions les plus simples à ce jour demeure de confier le sort de ces ressortissants à l’Irak, un État souverain « dont l’appareil judiciaire fonctionne », souligne Jean-Charles Brisard, du centre d’analyse du terrorisme. Le pays a déjà condamné à mort ou à la prison à vie des centaines d’étrangers.
Parmi eux, trois Français ont écopé de peines de prison, la condamnation la plus médiatique étant celle de Mélina Boughedir, condamnée à la perpétuité et incarcérée avec l’une de ses filles âgée de deux ans, à Bagdad.
« Ces personnes ont le droit de bénéficier de la protection consulaire, à ce moment notre réseau diplomatique sera mobilisé en ce sens », a expliqué Emmanuel Macron lundi à propos des 13 djihadistes transférés, en ajoutant qu’il pourrait alors confirmer leur identité.
En faisant juger ses ressortissants en Irak, la France s’évite par ailleurs des réticences de l’opinion publique, qui peine parfois à comprendre l’intérêt de rapatrier des djihadistes sur un territoire lourdement marqué par les attentats.
Pour Maître William Bourdon, avocat de la djihadiste nantaise Margaux Dubreuil, ce choix est néanmoins critiquable. « Si l’Irak était un pays qui respectait les grands principes du procès équitable, ça se saurait et on l’aurait vu », a-t-il réagi auprès de LCI. Ajoutant qu’en préférant cette solution, Paris retire aux services de renseignement français « une source inépuisable d’informations ».
Quel intérêt pour l’Irak ?
« Cet accord convient à l’Irak mais aussi à la France qui peut ainsi éviter l’épineuse question du retour. Bagdad lui fait une faveur », commente l’expert Hicham al-Hachemi auprès de l’AFP.
« Il peut y avoir une coopération sécuritaire poussée, de l’aide, du soutien, des prêts. Dans ce genre de dossier, il y a du donnant-donnant : si l’Irak soulage la partie française et lui épargne le retour de djihadistes, il va falloir trouver une contrepartie qui peut être économique, financière ou encore une coopération sécuritaire poussée », souligne auprès de Franceinfo Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes.