Source : L’Express
Par Thibaut Solano
L’attaque du marché de Noël rappelle d’autres dossiers. Dans la capitale alsacienne, des initiatives inédites ont été prises.
Strasbourg, terreau du terrorisme ? Le raccourci serait hasardeux même si plusieurs affaires ont touché la capitale alsacienne depuis 2000. La mairie a d’ailleurs pris des initiatives inédites de prévention de la radicalisation à partir de 2015.
Parmi les dossiers de terrorisme, on se souvient d’une opération avortée en 2000 : les enquêteurs allemands avaient découvert des images de repérage de la cathédrale de Strasbourg. Quatre personnes proches d’Al-Quaïda avaient été interpellées à Francfort (Allemagne). Elles avaient passé plusieurs années dans des camps d’entraînement en Afghanistan.
Le précédent de « la filière de Strasbourg »
Autre affaire emblématique, celle de « la filière de Strasbourg« . En décembre 2013, dix jeunes Alsaciens étaient partis en Syrie. Deux sont morts au combat, sept ont été arrêtés en France dès leur retour au printemps 2014. Devant les enquêteurs, ils ont expliqué qu’ils voulaient faire « de l’humanitaire » après avoir visionné des vidéos de femmes violées et d’enfants victimes de la guerre.
Un autre jeune homme avait en revanche choisi de rester sur place et d’y fonder une famille : Foued Mohamed-Aggad, originaire de Wissembourg (Bas-Rhin). Le 13 novembre 2015, il a fait partie des trois terroristes qui ont pris d’assaut le Bataclan.
Le nom d’un recruteur, Mourad Farès, hante ce dossier. Il aurait rencontré les Alsaciens à plusieurs reprises, notamment en Rhône-Alpes et en Allemagne. Le groupe fréquentait des boites de nuit outre-Rhin et aussi un bar à chicha à Kehl, où le voyage en Syrie aurait en partie été fomenté.
En mai 2017, le tribunal de Paris a condamné les sept survivants à des peines allant de sept à neuf ans de prison.
» Une zone frontière «
On peut aussi citer le cas de Khamzat Azimov, auteur d’une attaque au couteau, le 12 mai dernier, dans le quartier de l’opéra à Paris. Originaire de Tchétchénie, il avait grandi dans le quartier populaire de l’Eslau, à Strasbourg.
Le maire de la ville, Roland Ries, a lui-même avancé que 10 % des fichés S recensés résideraient dans la métropole strasbourgeoise. Un chiffre contesté mais une chose est certaine : « Strasbourg est l’un des foyers de radicalisés les plus importants de France, avec l’Île de France, Toulouse, les Alpes Maritimes…, recense Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme. Mais il n’y a pas de spécificité locale qui explique cette concentration. »
Alain Fontanel, premier adjoint au maire de Strasbourg, avance cependant quelques hypothèses : « Nous sommes dans une zone frontière, avec une communauté musulmane assez importante. Strasbourg est perçu comme une ville riche mais il y a des poches de pauvreté. Or, la misère sociale peut aussi constituer un terreau. »
Lutte contre la radicalisation
Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la mairie a souhaité prendre une initiative inédite en France : la création d’une délégation de prévention contre la radicalisation, confiée à l’une des élues du conseil municipal, Chantal Cutajar. « Nous mettons en place deux volets, explique celle-ci : une partie prévention avec notamment la distribution d’un kit dans les établissements scolaires pour lutter contre les discours conspirationnistes. Et une partie alerte : les personnes des associations, du monde sportif, de l’Éducation Nationale… peuvent rapporter des signaux de radicalisation à un chargé de mission qui les transmet ensuite à la Préfecture ».
Pour Chantal Cutajar, il n’est en revanche pas question de demander un changement législatif pour permettre l’accès des mairies au fichier S : « Nous ne saurions pas quoi en faire, et cela n’aurait pas empêché l’attaque du marché de Strasbourg ».
Il est évidemment trop tôt pour rapprocher Cheriff Chekatt d’un éventuel réseau strasbourgeois. « A l’heure actuelle, très peu de filières sont encore actives, note avec prudence Jean-Charles Brisard, du CAT. La connaissance des services spécialisés s’est accrue, notamment à la faveur du retour d’un certain nombre d’individus » des camps d’endoctrinement.
Mais l’hypothèse de complicités ne peut être exclue, rappelle-t-il. « A Nice, on a d’abord pensé que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l’auteur de l’attaque au camion, était seul avant de s’apercevoir qu’il avait bénéficié de soutiens ».