Source : Figaro Vox

Par : Paul Sugy

 

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Pour Jean-Charles Brisard, si le suivi des individus les plus radicalisés par les services de renseignement est efficace, celui des suspects faisant l’objet de signalements flous est plus problématique. Il propose ainsi de s’appuyer sur les maires pour la détection des comportements à risques.


Jean-Charles Brisard est président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT).


FIGAROVOX.- L’auteur présumé de l’attaque commise mardi soir à Strasbourg était fiché S. Des voix s’élèvent déjà pour pointer un dysfonctionnement dans le suivi des personnes répertoriées sur ce fichier: qu’en est-il d’après vous?

Jean-Charles BRISARD.- Le fait que l’auteur de l’attentat était fiché S signifie d’abord qu’il avait bien été détecté par les services de renseignement. Qu’aurait-on dit s’il n’était pas fiché? Cela aurait signifié qu’il serait passé totalement sous les radars des services. Rappelons que les fiches S sont les outils de travail, des marqueurs pour les services de renseignement, on ne peut pas leur prêter un rôle qu’elles n’ont pas, et faire l’objet d’une fiche S n’emporte aucune conséquence juridique.

Le suivi du haut du spectre des individus fichés par la DGSI est efficace. Pour le milieu et le bas du spectre, c’est plus délicat.

L’auteur de l’attentat était fiché S et inscrit au FSPRT, le fichier des signalements pour radicalisation à caractère terroriste, et des signaux faibles de radicalisation avaient été détectés depuis 2015, ce qui pose la question des moyens de l’État pour suivre efficacement de tels profils. Le suivi du haut du spectre des individus fichés (environ 4 000 individus considérés comme dangereux) par la DGSI est efficace, il permet de déjouer régulièrement des attentats. En revanche, celui des individus du milieu et surtout du bas du spectre, sur lesquels n’existent que des signalements sans indices précis est plus délicat et nécessiterait des moyens humains dont ne disposent pas les services à l’heure actuelle. C’est dans ce domaine que le rôle des maires pourrait être accru pour devenir des acteurs à part entière de la prévention de la radicalisation. La circulaire dite «Castaner» du 13 novembre 2018 relative à la mise en œuvre d’un dialogue renforcé entre l’État et les maires dans le domaine de la prévention de la radicalisation violente est un premier pas. Elle doit se traduire rapidement par un véritable échange d’informations sur l’état de la menace et des profils sensibles et, à terme, ouvrir la voie, à un renforcement du rôle des maires qui pourraient notamment, en accord avec l’État, activer les nombreux capteurs locaux à leur disposition pour assurer une veille sur les individus du bas du spectre présents sur le territoire de leur commune. Ce mouvement devra s’accompagner d’une réforme des compétences des polices municipales, afin qu’elles puissent constituer une force supplétive efficace, capable de renforcer les capacités de l’État en matière de suivi des individus signalés.

Le terrorisme était de moins en moins présent dans le débat public, pensez-vous qu’il ait pu y avoir un épuisement ou un manque de vigilance des forces de l’ordre?

Si la prégnance du terrorisme dans le débat public est effectivement moindre cette année, cela ne signifie pas pour autant que les services de renseignement ont relâché leurs efforts. L’engagement de ces services ne se mesure pas à l’aune des attentats qui se produisent mais à l’aune de ceux qu’ils empêchent. Au moins 7 projets d’attentats djihadistes ont été déjoués par leur action cette année et 20 en 2017, sans compter les projets déjoués dans des pays voisins grâce à la collaboration de nos services. Cela montre bien que les autorités restent mobilisées et en alerte permanente bien que tous les projets ne parviennent pas à être mis en échec.

Alors que Daech est en passe d’être rayé de la carte, la menace terroriste en France est-elle toujours la même depuis les attentats de 2015?

Les pertes territoriales et humaines avec le dronage des cadres de l’organisation, notamment les membres francophones des opérations extérieurs de l’EI, responsables des attentats en Europe, ont effectivement entravé ses capacités opérationnelles. Cependant, malgré ces revers, un attentat de grande ampleur, un attentat complexe, n’est pas à exclure pour les années à venir.

Bien qu’amoindri, Daech conserve une capacité d’action et une détermination à frapper hors de ses frontières.

En effet, le groupe conserve une capacité d’action et une détermination à frapper hors de ses frontières. Il n’est qu’à voir les projets de cette nature à l’étranger, notamment un projet d’attentat à la ricine déjoué en Allemagne en juin dernier. Parallèlement, les soutiens de l’EI en France qui n’ont jamais rejoint la Syrie permettent au groupe de pallier ses difficultés en Syrie et en Irak en prolongeant sa capacité d’inspiration. Par rapport en 2015, on observe donc une menace dirigée ou projetée de moindre ampleur, mais toujours latente, couplée à des projets fomentés par des sympathisants du groupe. Nous avons donc, comme en 2015, un chevauchement de ces deux types de menace, avec une capacité de projection de l’EI, certes amoindrie, mais pas anéantie. À cela s’ajoute le fait que les affiliés de l’organisation en Libye ou en Afghanistan développent des capacités de projection opérationnelle, comme l’ont montré plusieurs attentats ou projets d’attentats conçus depuis ces zones et visant l’Europe ou les États-Unis depuis 2016.