Source : FigaroVox
Par Paul Sugy
FIGAROVOX/ANALYSE – Jean-Charles Brisard reste prudent quant à l’attaque commise dimanche soir dans le XIXème arrondissement parisien, dont le motif terroriste n’a pas été retenu. Il observe néanmoins que le djihadisme a contribué à l’augmentation de ce mode opératoire.
FIGAROVOX.- Hier soir à Paris, un homme a blessé sept personnes au couteau. Quel est selon vous le terme adéquat pour qualifier de tels faits? En particulier, comment détermine-t-on le caractère «terroriste» ou non d’une telle agression?
Jean-Charles BRISARD.- A ce stade, il convient surtout d’être prudent dans l’analyse que nous pouvons faire de cet acte. L’enquête commence et il lui appartiendra d’établir les circonstances de cet événement ainsi que les motivations de l’individu. Un acte n’est pas terroriste par nature mais par l’intention manifestée par l’auteur. Dans certains cas, le caractère terroriste d’un acte ressort des premières constatations, notamment au vu de la personnalité de l’individu, ou lorsque celui-ci se réfère au contexte international, lorsqu’il existe des signes manifestant une adhésion à une organisation terroriste (une allégeance ou une revendication). Il peut également être objectivé par le mode opératoire mis en œuvre, les armes utilisées ou la cible visée, notamment lorsque ces éléments correspondent à des préconisations d’organisations terroristes. Dans tous les cas, pour constituer une infraction terroriste, un acte doit répondre à plusieurs critères: il doit être prémédité et l’objectif recherché par l’auteur doit être d’inscrire son acte dans un contexte terroriste en troublant gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. La section antiterroriste du Parquet de Paris ne s’est pas saisie initialement de ces faits mais rien n’empêche qu’elle le soit ultérieurement si l’enquête recueille des indices permettant de matérialiser un acte terroriste.
Grenoble le 29 juillet, Paris le 8 août, Melun le même jour, Trappes le 23 août… Tout l’été, les agressions au couteau ont malheureusement assombri très régulièrement l’actualité. Ce mode opératoire est-il de plus en plus fréquent, en France comme du reste ailleurs en Europe? Pourquoi?
S’agissant de la menace terroriste, les études menées par le Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT) montrent un accroissement de l’usage des armes blanches dans les attentats et les projets d’attentats depuis 2014. Si ces armes étaient utilisées dans 13 % des attaques entre 2008 et 2013, elles ont représenté 23 % des armes utilisées entre 2014 et 2016, et 30 % en 2017 au sein de l’Union européenne. Plusieurs facteurs expliquent le recours plus fréquent à des armes rudimentaires, notamment l’accès rendu plus difficile aux armes de guerre ainsi qu’aux composants d’explosifs, même s’il est toujours possible de s’en procurer. Un autre facteur tient également au profil des individus qui passent à l’acte: beaucoup d’entre eux (plus de 60 % des individus jugés pour des faits de terrorisme) n’ont pas de parcours carcéral et parfois aucun antécédent. Sans contact avec des réseaux criminels, ces individus sont contraints de recourir à des armes rudimentaires, parfois de manière mimétique en reproduisant des modes opératoires utilisés avec succès ailleurs.
Est-ce le signe d’une hausse de la violence dans notre société? Le terrorisme islamiste a-t-il selon vous contribué à répandre ce mode opératoire, même s’il semble que l’agression d’hier soir ne relève pas directement du terrorisme?
En effet, le dernier facteur qui explique cette croissance des agressions à l’arme blanche tient aux appels récurrents des organisations djihadistes à utiliser ce type d’armes pour frapper nos pays. Depuis septembre 2014, l’État Islamique a multiplié les appels en ce sens et l’expérience montre qu’ils ont une résonance importante chez les membres ou sympathisants de cette organisation. Rappelons que dans un enregistrement diffusé le 22 août dernier, le chef de l’État Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, a de nouveau appelé ses partisans à frapper les pays européens avec des armes rudimentaires, précisant que ce type d’attaques équivalait à 1 000 opérations dans la zone syro-irakienne. Les enquêtes en cours devront déterminer si les dernières actions ont été perpétrées en réponse à ces appels.
En tout état de cause, et indépendamment de leur qualification juridique, ces actions interviennent dans un contexte de menaces incessantes visant notre pays, qu’elles soient globales ou spécifiques. Je rappelle qu’en 2017 la France a été le pays le plus visé par le terrorisme islamiste au sein de l’Union européenne. La croissance de ces attaques témoigne également de la présence persistante des organisations djihadistes sur internet, les réseaux sociaux et les messageries cryptées qui leur permettent de continuer à répandre leur propagande, à mobiliser leurs partisans et sympathisants, ainsi qu’à dispenser et prodiguer des conseils opérationnels. C’est ce vecteur qui nourrit la radicalisation et inspire les passages à l’acte, qui progresse, se diversifie et s’adapte en permanence aux contraintes sécuritaires.
Quels enseignements tirer de la propagation de ce genre d’attaques? Nos forces de sécurité sont-elles suffisamment entraînées et armées pour y répondre?
S’agissant du contexte terroriste, la multiplication des attaques en Europe montre d’abord que l’intensité de la menace visant nos pays est indépendante des vicissitudes des organisations djihadistes en Syrie et en Irak. Elle témoigne de la réalité d’une menace endogène, diffuse et imprévisible, où il n’existe plus de profils types, où les modes opératoires sont improvisés, les armes sont rudimentaires et le lien entre ces acteurs locaux et des organisations terroristes est de plus en plus virtuel. C’est le symptôme d’une idéologie qui est désormais durablement enracinée dans notre pays, qui compte plus de 20 000 individus inscrits au fichier des personnes signalées pour radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) dont 14 000 font l’objet d’un suivi. La formation des forces de l’ordre, la modernisation de leur armement, la réduction des délais d’intervention ou le contrôle d’accès systématique des lieux accueillant du public sont des mesures nécessaires mais pas suffisantes.
Dans ce contexte marqué par la massification et l’imprévisibilité de la menace, et à l’instar d’une évolution amorcée au Royaume-Uni notamment, il est temps d’accepter l’idée que l’État ne peut pas tout et qu’il doit s’appuyer sur d’autres acteurs, en particulier les acteurs locaux dans le cadre de partenariats. À cet égard, je plaide pour ma part depuis plusieurs mois pour un renforcement de nos capacités d’évaluation du risque, de prévention et de détection précoce, par le partage de l’information avec les collectivités locales (l’exploitation sous conditions des fichiers régaliens) et par leur implication dans la prévention de la radicalisation et des passages à l’acte, en utilisant le maillage local unique composé de nombreux capteurs à leur disposition (sociaux, éducatifs, associatifs…). Il conviendra également d’assouplir le cadre juridique permettant de bénéficier des progrès technologiques dans les domaines de l’identification et de la détection précoce.