Source : Le Monde


Par Anne-Sophie Faivre Le Cadre

 

Selon la ministre de la justice, Nicole Belloubet, 450 détenus radicalisés seront libérés avant la fin de l’année 2019. Eléments d’éclairage.

Comment éviter la récidive des détenus radicalisés au terme de leur détention ? Interrogée sur BFM-TV le 6 juin, la ministre de la justice, Nicole Belloubet, a annoncé la sortie, en 2019, de 450 détenus considérés comme radicalisés. Le point sur les raisons de leur sortie – et sur les mesures prises pour y faire face.

Pourquoi ces personnes ont été incarcérées ?

Au sein du groupe des 450 détenus radicalisés bientôt libérés mentionnés par la ministre de la justice figurent des profils très différents : « revenants » de Syrie qui y avaient rejoint l’Etat islamique, détenus de droit commun radicalisés au sein de la prison, « velléitaires » ayant souhaité rejoindre l’EI sans y parvenir, ou encore des vétérans du terrorisme islamique.

Ainsi, certains anciens d’Al-Qaida devraient prochainement recouvrer la liberté : au nombre d’entre eux, Djamel Beghal, vétéran des camps d’Al-Qaida et mentor des tueurs de l’attentat contre Charlie Hebdo. Condamné en 2013 à dix années d’emprisonnement et déchu de la nationalité française depuis 2006, il sera extradé vers l’Algérie à sa libération, prévue au plus tard en 2018 du fait des remises de peine.

Certains djihadistes actifs avant la création de l’Etat islamique sont également sur le point de recouvrer leur liberté. Mohamed Achamlane, chef du groupuscule islamiste Forsane Alizza, est l’un d’eux. A la suite des attentats commis par Mohamed Merah, il avait qualifié l’attaque de Toulouse de « bénédiction » et déclaré vouloir « mettre des cicatrices à la France ». Les enquêteurs avaient retrouvé, sur son ordinateur, une liste de commerces juifs intitulés « cibles ». Condamné à neuf ans de prison ferme pour préparatifs terroristes en 2015, il est libérable dans le courant de l’année 2019, du fait de sa détention provisoire.

Pourquoi ces profils radicalisés sortent-ils de prison ?

La sortie de ces radicalisés de prison ne résulte pas d’une volonté gouvernementale. Leur libération est le fruit du jeu des remises de peine et de la fin des peines prononcées à leur endroit. Jusqu’en 2016, les peines liées à des faits de terrorisme pouvaient être sensiblement réduites par le biais des réductions de peine automatiques.

La loi Urvoas du 3 juin 2016 modifie ces dispositions, en créant une « peine de perpétuité réelle » étendant la période de sûreté jusqu’à trente ans. La législation n’étant pas rétroactive, cette nouvelle disposition ne s’applique pas aux délits et crimes commis avant sa promulgation.

Autre élément d’explication, les peines appliquées aux « djihadistes velléitaires » – ayant projeté de partir pour la Syrie et ayant été arrêtés avant de pouvoir s’y rendre – sont relativement peu sévères. Dans un rapport daté du mois de mai 2018, le Centre d’analyse du terrorisme relève que la moyenne des peines prononcées pour ce motif est de quatre ans et six mois. Les 83 « revenants » jugés depuis 2014 ont été condamnés à des peines d’une moyenne de sept ans et un mois. Selon le think tank, 65 % des individus jugés dans des affaires liées aux filières syro-irakiennes auront purgé leurs peines à l’horizon 2020.

Quel suivi pour ces profils « particulièrement dangereux » ?

Interrogé le 28 mai par BFM-TV, le procureur de Paris, François Molins, qualifie de « risque majeur » la sortie de ces détenus radicalisés :

« On court un risque majeur qui est celui de voir sortir de prison à l’issue de leur peine des gens qui ne seront pas du tout repentis, qui risquent même d’être encore plus endurcis compte tenu de leur séjour en prison. »

Des craintes anticipées par le ministère de la justice, qui s’appuie sur le renseignement pénitentiaire pour cerner les profils les plus dangereux, rappelle Nicole Belloubet lors de son interview sur BFM, le 6 juin :

« Ces gens-là sont évalués. Ils sont placés ensuite dans des lieux de détention qui correspondent à leur niveau de dangerosité. Quand ils sortent de prison, nous anticipons leur sortie et nous les suivons d’une manière extrêmement précise. »

Un sujet d’autant plus suivi que l’État a déjà été condamné en 2016 pour avoir cessé de surveiller Mohamed Merah, le tribunal administratif de Nîmes ayant considéré que les services de renseignement avaient commis une faute.

Pour surveiller ces profils à risque, une cellule spécialisée sera créée au sein de l’Uclat, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste. « Cette cellule sera effective très prochainement », a précisé le ministère de l’intérieur à l’agence de presse Reuters.

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