Source : le JDD
ANALYSE – Pour Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme, la libération de Mossoul, qui a été officialisée dimanche, ne signe pas la fin de l’Etat islamique.
Propos recueillis par Alexandra Saviana
Attention maintenant aux « zones grises ». C’est le message de Jean-Charles Brisard, le président du Centre d’analyse du terrorisme joint par le JDD, quelques heures avant la libération officielle de Mossoul par l’armée régulière irakienne. L’Etat islamique, sur le plan territorial, s’amenuise. En effet, avec la fin de la bataille de Mossoul, l’organisation terroriste recule considérablement en Irak. En parallèle, l’assaut final dans la bataille de Raqqa, la capitale « officieuse » de Daech en Syrie, a été donné début juin. Si les djihadistes ont entamé une guerre des tranchées, ils perdent chaque jour du terrain. De là à imaginer la fin de l’Etat islamique? Le chercheur met en garde contre une victoire en trompe-l’oeil.
« Dès à présent, beaucoup de djihadistes partent aux Philippines, au Sahel, en Libye ou au Yémen »
« Les défaites militaires en Irak puis en Syrie vont conduire des djihadistes à retourner dans leur pays d’origine. Mais ce sera extrêmement compliqué parce que les frontières ont été renforcées, notamment avec la Turquie. Les Européens et plus largement les Occidentaux ont pris des mesures pour identifier ces djihadistes et les neutraliser judiciairement. Revenir est devenu un pari extrêmement risqué. Le plus probable, comme on le constate d’ailleurs aujourd’hui, sera donc de voir les djihadistes se disperser à travers le monde. Ils se rendront dans des ‘zones grises’, ces régions qui ne sont pas forcément sous contrôle étatique. Dès à présent, par exemple, beaucoup partent aux Philippines, au Sahel, en Libye ou au Yémen. Si l’on regarde l’histoire du djihad moderne, c’est ainsi qu’est né Al-Qaida. Après la guerre en Afghanistan, cadres et militants se sont dispersés pour reconstituer localement des cellules.
Mais la disparition du califat sur le plan territorial ne le fera pas disparaître sur le plan virtuel, celui qui permet à des milliers d’individus dans le monde d’être inspirés par la propagande de l’organisation. Aujourd’hui, nous savons que Daech essaie toujours de perpétrer des attentats en Occident, qui peuvent être identifiés en trois types. D’abord, un terrorisme de groupe, décidé et dirigé depuis une organisation à l’étranger. Ensuite, un terrorisme ‘inspiré’. Encore récemment à Paris, des individus radicalisés ont décidé de passer à l’acte, soit à la faveur d’un changement de contexte international, soit à cause d’une propagande particulière de Daech. Enfin, un terrorisme dit ‘téléguidé’, qui constitue presque la moitié des attentats déjoués en France l’année dernière. Les individus interpellés étaient en lien avec des djihadistes en Syrie ou en Irak, qui leur dispensaient des conseils sur la manière de concevoir un attentat. La survie du califat virtuel induit que les attentats inspirés et téléguidés constitueront la plus grande partie de la menace à laquelle nous serons confrontés à l’avenir. »