Source : 20 Minutes
TRIBUNAL Six des 20 accusés ne seront pas dans le box pendant le procès des attentats du 13-Novembre. Et pour cause : s’ils sont théoriquement sous mandat d’arrêt, au moins quatre d’entre eux seraient morts en Syrie
- Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s’ouvre pour neuf mois, ce mercredi, devant la cour d’assises spéciale de Paris.
- Vingt personnes sont accusées dans ce dossier mais six sont jugées par défaut. Théoriquement, ces hommes sont toujours en fuite mais quatre d’entre eux sont vraisemblablement morts en Syrie.
- Parmi ces absents figure l’homme soupçonné d’avoir organisé ces attaques : le Belgo-marocain Oussama Atar.
On ne juge pas les morts. C’est même un principe fondamental du droit français. Ces dernières années, pourtant, condamner des fantômes est devenu le quotidien des magistrats spécialisés dans le terrorisme. Depuis que certains djihadistes ont tenté de se faire passer pour mort pour tromper la vigilance des services de renseignement, décision a été prise de juger, en l’absence de preuves irréfutables, ceux pour qui le doute – aussi minime soit-il – subsiste. Et le procès des attentats du 13 novembre, qui s’ouvre ce mercredi devant la cour d’assises spécialement composée, n’échappe pas à cette règle : parmi les 20 accusés, six manquent à l’appel. L’un d’entre eux est détenu en Turquie, un second toujours en fuite mais les quatre autres sont, selon les services de renseignement de plusieurs pays, morts en Syrie.
S’ils ne seront pas là pour se défendre, revendiquer leur implication ou la nier, ni donner leur version des faits, leur ombre planera sur ces neuf mois d’audiences. A commencer par celle d’Oussama Atar, dont le nom résonne presque à chaque page du dossier d’instruction, le seul, parmi tous les accusés, à être jugé pour « direction d’une entreprise terroriste ». Ce Belgo-marocain, a priori tué par un drone en novembre 2017 à l’âge de 33 ans, est soupçonné d’avoir planifié et organisé, depuis la Syrie, les attaques du 13 novembre. « Il était à la tête de la cellule des opérations extérieures, précise Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT). Il avait un rôle de planificateur en chef des attaques, chargé de monter une équipe de combattants, d’assurer la logistique, de superviser les opérations. »
Vétéran du djihad
L’homme est loin d’être un inconnu des services de renseignement. Parti combattre les troupes américaines en Irak en 2004 alors qu’il était à peine majeur, il a passé sept ans dans les geôles américaines sur place. « C’est justement ce rôle de vétéran du djihad qui lui a permis de monter tout en haut de l’échelle de l’État islamique, précise le chercheur. En Irak, il a rencontré ceux qui allaient devenir les principales figures de l’organisation, notamment Abou Bakr al-Baghdadi », le chef autoproclamé du groupe terroriste jusqu’à sa mort en 2019.
Dès la fin de l’année 2014, Oussama Atar s’entoure d’hommes de confiance chargés de l’aspect logistique et opérationnel des attaques. A commencer par ses cousins, les frères El Bakraoui, dont les services de renseignements sont convaincus qu’il a lui-même œuvré à leur radicalisation, lors d’un bref séjour en Belgique en 2012.
Les deux hommes sont ses relais en Europe. Depuis la région bruxelloise, ils recherchent des armes, louent une partie des voitures et des planques qui serviront à acheminer et héberger le commando. En Syrie, l’émir s’appuie également sur deux compatriotes expérimentés : Najim Laachroui, qui dispose de bonnes connaissances en explosifs, et Abdelhaamid Abaaoud, le chef opérationnel des attaques de Paris. Ce dernier est le seul à être en France, le soir du 13 novembre, ouvrant le feu sur des terrasses parisiennes, avant de se faire exploser lors de l’assaut du Raid à Saint-Denis deux jours plus tard. Ses trois complices, restés en Belgique, commettront cinq mois plus tard les attentats de Bruxelles.
Les frères Clain, des « voix » bien informées
Si Oussama Atar laisse à ses lieutenants une certaine latitude, notamment dans le choix des « cibles », lui assure un rôle de logisticien : il participe au recrutement d’une partie des commandos, les aide, notamment financièrement, tout au long de leur voyage en Europe, leur fournit de faux papiers… Il met également à contribution plusieurs membres haut placés de l’organisation, notamment Jean-Michel et Fabien Clain, connus comme les « voix » des attentats pour les avoir revendiqués.
« Les frères Clain n’ont pas seulement un rôle de propagande, ils avaient une connaissance précise de ces attentats, poursuit Jean-Charles Brisard. Dans leur message de revendication du 14 novembre, ils évoquent un attentat-suicide dans le 18e qui n’a finalement pas eu lieu, ce qui laisse supposer que le message a été réalisé avant les attaques. » Ces Réunionnais comparaissent devant la cour d’assises spécialement composée pour « complicité » des crimes commis à Paris et Saint-Denis. Mais eux non plus ne seront pas dans le box : ils ont, selon les services de renseignement, été tués en février ou mars 2019 lors du siège de Baghouz.
Le procès des « petites mains »
Dès lors, en l’absence des têtes pensantes du réseau, ce procès sera-t-il celui des « petites mains » ? C’est ce que craignent certaines parties civiles, à commencer par Arthur Dénouveaux, le président de l’association de victimes Life for Paris. « Tout le monde parle d’un procès pour l’Histoire mais, dans le box, on n’a pas des décideurs, on a plutôt des racailles montées en graine. Certains journalistes espèrent que ce sera leur Nuremberg ou leur procès Papon… Je n’en suis pas persuadé. »
Une réflexion que ne partage pas le président du Centre d’analyse du terrorisme, qui rappelle que ces attentats ont nécessité une chaîne logistique sans précédent sans laquelle ils n’auraient pas pu être perpétrés. « Il y a encore de nombreuses zones d’ombre sur les rôles des uns et des autres dans l’organisation de ces attentats que le procès pourrait éclaircir », précise Jean-Charles Brisard. Et de rappeler que parmi les 14 personnes qui seront effectivement jugées, dix sont accusées de « complicité » des crimes commis.