Source : FigaroVox
Par : Paul Saugy
FIGAROVOX/ENTRETIEN – La France envisage de rapatrier 130 djihadistes détenus en Syrie par les Kurdes. Pour Jean-Charles Brisard, cette annonce n’est pas surprenante : il s’agit de la seule manière de s’assurer que ces combattants islamistes soient réellement neutralisés et répondent de leurs actes.
FIGAROVOX.- On apprend que 130 djihadistes détenus en Syrie seront rapatriés en France dans les prochaines semaines. Pourquoi une telle mesure?
Jean-Charles BRISARD.- Cette décision n’est pas surprenante. Elle résulte principalement de l’incapacité des groupes armés qui sont parties au conflit, notamment les Kurdes de Syrie, qui en vertu du droit international sont compétents pour capturer et juger des combattants, à s’organiser pour garantir la détention et le jugement des jihadistes étrangers. Les Kurdes de Syrie disposent d’une organisation balbutiante et leurs représentants ont à plusieurs reprises indiqué leur volonté de remettre ces jihadistes à leurs autorités nationales. À ce contexte d’incertitude sur le sort des jihadistes étrangers s’est ajoutée l’instabilité du contexte géopolitique, avec le retrait annoncé des troupes américaines, qui pourrait conduire à la disparition pure et simple de ces groupes armés avec la perspective d’une dispersion sans aucun contrôle des jihadistes étrangers dans la région. Or il y a parmi les prisonniers des Kurdes de Syrie des individus qui ont dans le passé menacé la France ou participé à la planification d’attentats sur son sol et seraient susceptibles de regagner l’Europe pour y commettre des actes terroristes. Face à la défaillance de ces structures fragiles et embryonnaires dont rien ne garantit la longévité, et dans le contexte d’une instabilité grandissante, le transfert de ces jihadistes est la seule solution responsable et viable pour assurer qu’ils soient neutralisés et qu’ils répondent de leurs actes.
Le transfert de ces djihadistes est la seule solution responsable et viable pour assurer qu’ils soient neutralisés et qu’ils répondent de leurs actes.
L’idée que l’on pourrait s’en remettre à d’autres pour juger ces personnes et assurer notre sécurité est au mieux une vue de l’esprit dans la situation actuelle en Syrie. Les pays les moins enclins à voir revenir leurs djihadistes, notamment les États-Unis, ont dû se résoudre à cette solution. C’est ainsi qu’une dizaine de djihadistes américains ont été transférés ces derniers mois de la Syrie ou de l’Irak vers les États-Unis dans le cadre d’accords informels avec les autorités kurdes.
Le ministre de l’Intérieur se veut rassurant: à leur retour, les djihadistes seront écroués et mis en prison. Peut-on le croire sur parole?
C’est en effet déjà le cas aujourd’hui, puisque les revenants sont systématiquement judiciarisés et dans la très grande majorité des cas, placés en détention provisoire, c’est-à-dire neutralisés judiciairement. Ceux qui ne le sont pas sont suivis par les services de renseignement. J’ajoute que tous les djihadistes français qui se sont rendus en Syrie et en Irak font l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par les autorités françaises et que certains ont même déjà été condamnés en leur absence à des peines moyennes supérieures à 12 ans d’emprisonnement par des juridictions françaises. Plus de 60 Français sont dans ce cas.
Le Centre d’Analyse du Terrorisme que vous présidez révèle que la peine moyenne prononcée à l’encontre des djihadistes «revenants» est d’environ huit ans de prison. C’est-à-dire qu’en moyenne, dans huit ans à peu près, ces 130 djihadistes seront remis en liberté?
D’abord, nous constatons depuis 2016 un accroissement constant des peines prononcées à l’encontre des djihadistes revenants, induit en partie par le durcissement de la politique pénale initié en avril 2016 par l’ancien Procureur de la République de Paris, François Molins, visant à criminaliser les procédures à l’encontre de ceux qui seraient partis sur zone ou s’y seraient maintenus après janvier 2015. La Cour de cassation est allée au-delà en estimant que la seule appartenance à un groupement ou une entente ayant pour objet la préparation de crimes, suffit à qualifier le crime, sans qu’il soit besoin de démontrer une quelconque participation effective aux crimes, aux combats ou à leur préparation de la part des membres du groupe.
Un transfert de plusieurs dizaines de djihadistes nécessitera des changements profonds des moyens de la justice.
Force est pourtant de constater que faute de moyens, cette nouvelle politique pénale ne s’est pas traduite par le renvoi systématique devant la Cour d’assises, où les djihadistes encourent jusqu’à 30 ans d’emprisonnement, contre 10 ans en correctionnelle. La perspective d’un transfert de plusieurs dizaines de djihadistes relevant théoriquement de la Cour d’assises nécessitera donc des changements profonds pour mettre en adéquation les moyens de la justice avec l’objectif d’une neutralisation durable de ces individus. À l’instar du tribunal correctionnel, la Cour d’assises devra évoluer pour audiencier plus rapidement un nombre plus important d’affaires et s’adapter à ce contentieux de masse.
Le retour de ces djihadistes pose aussi à nouveau la question de la contagion de l’islamisme radical dans les prisons françaises. Comment y remédier?
S’agissant d’individus qui pour beaucoup ont été formés au maniement des armes et des explosifs, ont combattu ou commis des exactions, qui pour d’autres ont participé activement à la propagande d’une organisation terroriste, ils devront faire l’objet d’une prise en charge étanche et d’un suivi spécifique tenant compte de leur dangerosité et de leur capacité d’endoctrinement et de recrutement. En fonction de leur dangerosité, ils ont vocation à être placés en quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR), voire à l’isolement pour les plus violents et les plus dangereux.