Source : TV5 Monde (Interview de Jean-Charles Brisard, Président du CAT)

Depuis des années les frères Clain étaient dans le viseur des services antiterroristes. Si leur implication dans les attentats du 13 novembre à Paris ont permis aux juges d’instruction d’émettre un mandat d’arrêt contre eux en juin 2018, la fratrie avait déjà quitté la France depuis mars 2015. Pourquoi ces figures du jihadisme français ont pu passer entre les mailles du filet pendant si longtemps ?

Fabien Clain et son frère Jean-Michel sont considérés comme les plus hauts cadres français de Daech. Radicalisés au début des années 2000, liés au clan Merah, aux attentats de Paris en 2015 et de Bruxelles en 2016. Un CV à rallonge pour des jihadistes bien connus des services antiterroristes.

  • Noyau dur du jihadisme français

« Depuis la fin des années 90 et le début des années 2000 on a des noyaux durs de jihadistes en France, des filières que l’on a redécouvertes avec l’apparition du groupe Etat islamique », explique Arnaud Danjean, député européen et membre de la commission Affaires étrangères et de la sous-commission Défense du Parlement européen. Mais en France, le jihadisme n’est pas apparu soudainement avec le groupe Etat islamique, ce n’est pas un simple effet de mode selon Arnaud Danjean « ce que l’on observe c’est une grande permanence de certains réseaux comme la filière des Buttes-Chaumont, c’est représentatif d’une permanence idéologique et organisationnelle. » Les Clain en sont des cas emblématiques. Si les deux frères jihadistes sont si bien connus depuis tant d’années, comment ont-ils pu échapper aux services anti-terroristes ?

  • Les frères Clain, expert de la dérobade

Pour Jean-Charles Brisard, du Centre d’analyse du terrorisme (CAT), c’est avant tout dû au profil des frères Clain et à leur savoir-faire acquis au fur et à mesure des années : « ils connaissent parfaitement toutes les techniques de dissimulation, d’évitement et les méthodes d’enquêtes policières, ils ont donc pu échapper à la vigilance et à la surveillance des services. »

Surtout au début des années 2000, les frères Clain ont commencé par faire de l’endoctrinement, ils n’étaient que des simples idéologues : « on n’avait pas grand-chose à leur reprocher mis à part du prosélytisme », ajoute Jean-Charles Brisard et, à l’époque, la justice ne disposait d’aucun moyen pour lutter contre cela. « C’était presque un travail de documentation, ils devaient reconstituer le parcours des suspects, avec des possibilités d’entrave et des moyens de coordination entre services limités », explique à son tour Arnaud Danjean.

Mais depuis les choses ont changé et l’arsenal juridique s’est musclé ces dernières années.

  • Une évolution des méthodes

Entre le début des années 2000 et maintenant, le contre-terrorisme a évolué dans son approche, une doctrine désormais bien plus coercitive : « c’est un progrès continu depuis 2001. Le 11 septembre a fait basculer la lutte antiterroriste dans une autre dimension, les événements par la suite, notamment les attentats de Paris en 2015, ont continué d’accélérer le processus », analyse Arnaud Danjean. « Maintenant, on prend des précautions infinies, il y a des moyens juridiques qui permettent d’intervenir en amont, des mesures administratives. Par précaution on préfère entraver les velléités, grâce à des outils qui n’existaient pas à l’époque », analyse à son tour Jean-Charles Brisard, du CAT.

  • Des failles dans le système ?

Pourtant cette évolution des services n’a pas empêché le pire de se produire, comme avec Mohammed Merah en 2012, Charlie hebdo ou encore le Bataclan en 2015 : «  un attentat semble remettre en cause tout le travail effectué car cela veut dire qu’il y a eu des défaillances mais les progrès sont réels », défend Arnaud Danjean.

Si les effets ne sont pas forcément visibles au premier abord, ils se font bien ressentir : « aujourd’hui un profil comme Clain serait entravé par la justice, par les services, par une frappe ciblée à l’étranger, les mailles du filet seraient beaucoup plus serrées pour ce genre d’individu », conclut Arnaud Danjean.

Depuis 2012, à chaque attaque terroriste, les textes de loi se sont agrégés constituant un véritable arsenal législatif capable de faire face à ces actes terroristes : capacités de surveillance, perquisitions, assignations à résidence, fermeture de lieux de culte, contrôles d’identité, fouilles, interdiction de sortie du territoire, et la liste continue de se rallonger.

21 décembre 2012
Promulgation de la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Elle prolonge la surveillance, dans un but préventif des données de connexion, et modifie le code pénal permettant de poursuivre les actes de terrorisme commis par des ressortissants français à l’étranger et les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger.

13 novembre 2014
Promulgation de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme qui prévoie l’interdiction du territoire des suspects candidats au djihad et crée un délit d’entreprise terroriste individuelle.

24 juillet 2015
Promulgation de la loi sur le renseignement qui définit un cadre dans lequel les services de renseignement sont autorisés à recourir à des techniques d’accès à l’information.

22 mars 2016
Promulgation de la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités les atteintes à la sécurité publique et actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

3 juin 2016
Promulgation de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. La loi entend renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en donnant aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d’investigation.

19 décembre 2016
Promulgation de la loi prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017.

28 février 2017
Promulgation de la loi relative à la sécurité publique. Le texte vise à renforcer la sécurité juridique des interventions des forces de l’ordre.

11 juillet 2017
Promulgation de la loi prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre 2017. Le texte rend possibles des mesures d’interdiction de séjour et leur encadrement.

30 octobre 2017
Promulgation de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Le texte pérennise le régime permettant la consultation des données du fichier des passagers du transport aérien (Passenger Name Record ou PNR) et étend les possibilités de contrôle dans les zones frontalières.

29 mars 2018
Saisi de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), soutenues notamment par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Conseil constitutionnel apporte quelques réserves d’interprétation aux mesures administratives de lutte contre le terrorisme.