Source : L’Express

Trois familles de victimes de Mohamed Merah ont demandé que le procès du frère du tueur soit filmé et enregistré. Une question délicate dans les dossier de terrorisme.

Cinq ans après l’assassinat de sept personnes par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, trois familles de victimes ont déposé jeudi une requête auprès de la Cour d’appel de Paris. Elles demandent à ce que le procès du frère du tueur, soit filmé et enregistré. Abdelkader Merah est soupçonné d’être associé à des actes préparatoires aux tueries.

Le Cour doit statuer avant le début du procès, le 2 octobre. Pour les familles, cette audience constitue un « intérêt historique ». Mais Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT), est prudent. Il met en garde contre « la tribune médiatique » qui peut être offerte aux terroristes.

L’Express: Si la justice autorise cette captation des débats, il s’agira d’une première dans un dossier de terrorisme. Cela peut-il être utile?

Jean-Charles Brisard: D’une manière générale, je suis plutôt favorable au fait que des procès dans les dossiers de terrorisme puissent être filmés. Car cela permet, grâce aux débats, de connaître les ressorts d’un acte terroriste, la genèse d’une radicalisation ou le profil des individus. Cela a donc un intérêt pédagogique et scientifique en permettant par exemple à des chercheurs d’étudier ce phénomène.

Dans le cas du procès Merah, pensez-vous que ce soit une bonne idée?

Non, je suis contre. Cela ferait de ce procès une exception. Aucune audience dans un dossier de terrorisme n’a jamais été filmée, contrairement à ceux pour crimes contre l’humanité, comme celui de Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon, et ceux des autres criminels nazis.

Pourtant, certains procès pour terrorisme auraient pu l’être. Notamment le procès du réseau islamiste du GIA en 1995 ou plus récemment celui de la cellule Cannes-Torcy. Cette dernière affaire est très importante. Vingt personnes étaient sur le banc des accusés pour ce procès de la cellule considérée comme l’une des plus dangereuses de France. Pourtant, il n’a pas été filmé. Mais de toute façon, les jugements des procès sont déjà rendus publics et tous les débats de l’audience sont consignés par écrits. Donc une capture vidéo ne me paraît pas fondamentale.

L’un des arguments de l’avocat de l’une des sept victimes de Mohamed Merah est de dire que cette affaire préfigure de nombreux autres actes terroristes » que la France a connu par la suite. Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

Non, les actes de Mohamed Merah n’ont pas préfiguré d’autres attaques, en revanche il s’agit bien du premier attentat djihadiste depuis 1996 en France. Mohamed Merah est certes une référence pour beaucoup de djihadistes. Mais les attentats commis par la suite procèdent d’une autre dynamique et dépendent davantage d’un contexte irako-syrien.

Existe-t-il des risques à filmer un tel procès ?

Oui, tout à fait. Le risque principal est que les terroristes profitent de leur procès pour glorifier leurs actes. La France refuse de juger les actes terroristes devant des juridictions d’exception. Ils relèvent donc de la juridiction pénale. Filmer uniquement les procès pour terrorisme, et pas ceux pour viol ou meurtre par exemple, reviendrait alors à leur donner beaucoup trop d’importance, et surtout à offrir à ces terroristes ce qu’ils recherchent: une tribune.

Je comprends qu’un attentat soit un acte singulier et exceptionnel, mais lui donner un retentissement médiatique dans un procès filmé, fournir de la publicité à un individu. Et c’est précisément ce qu’ils recherchent. Dans beaucoup de procès, ils sont nombreux à ne pas expliquer leur geste, mais à utiliser leur procès comme une tribune médiatique. Selon moi, ce risque est plus d’important que le devoir de mémoire.

Propos recueillis par Anna Benjamin

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