Source : FigaroVox

Par Jean-Charles Brisard, Président du CAT

FIGAROVOX/TRIBUNE- Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme, fait le bilan des dernières années en matière de lutte contre le terrorisme, et énumère les défis que devra relever le prochain président de la République.


Jean-Charles Brisard est président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT).


 

Une récente table ronde sur le terrorisme réunissant les représentants des principaux candidats à l’élection présidentielle organisée par le Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT) a montré qu’en dépit de convergences sur les aspects techniques dépassant les clivages partisans, le sujet reste empreint de dogmatisme. Les défis que le futur Président de la République devra relever dans ce domaine sont pourtant cruciaux pour la sécurité nationale, et ce quelle que soit l’évolution de l’organisation terroriste État Islamique: l’adaptation de notre outil de renseignement à la massification du phénomène djihadiste et de ses manifestations violentes dans notre pays, la prise en compte des évolutions tactiques des individus et des groupes djihadistes, la question des retours, et, au-delà, l’enracinement du phénomène djihadiste et de la radicalisation.

Depuis 2012, six lois ont été adoptées sur le terrorisme, soit plus d’une par an, sans compter les lois relatives à l’état d’urgence et à sa prorogation. Aucune autre législature sous la Vème République n’avait autant légiféré pour adapter les outils à la menace, sans toutefois réformer les structures et les méthodes.

Nous continuons à privilégier une approche centralisée et spécialisée de la lutte antiterroriste héritée des premières lois de 1986, soit il y a plus de 30 ans, alors que nous ne sommes plus seulement confrontés à la menace directe de groupes, mais de plus en plus à une menace diffuse et implantée. Cette évolution devrait nous inciter au renforcement des outils de détection précoce des signaux faibles à travers un maillage territorial du renseignement, ainsi qu’à un travail d’analyse pluridisciplinaire de la menace face à des profils multiples. Ainsi des équipes interservices permanentes et thématiques pourraient être mises en place afin d’appréhender la menace sous différents angles, plutôt que de multiplier les dispositifs de coordination d’une architecture administrative devenue trop complexe.


Outre le renforcement du renseignement territorial, cette évolution implique une véritable révolution culturelle au sein de nos services, qui doit s’enrichir de l’analyse d’un phénomène en perpétuel mouvement


Outre le renforcement du renseignement territorial, qui fait l’objet d’un quasi-consensus parmi les candidats à l’élection présidentielle, cette évolution implique une véritable révolution culturelle au sein de nos services, dont la culture d’enquête demeure essentielle, mais qui doit s’enrichir de l’analyse, notamment prospective, d’un phénomène en perpétuel mouvement. Cela nécessite également une ouverture au monde de la recherche et de l’université sur ces questions, dynamique qui était d’ailleurs souhaitée par l’ancien ministre de l’intérieur et actuel premier ministre. Il s’agirait notamment, sur le modèle de nombreux pays européens et anglosaxons, d’adosser au ministère de l’intérieur un organe parapublic permanent d’analyse et de prospective destiné à anticiper les mutations de la menace.

S’agissant de l’anticipation et du traitement de la menace, un programme de formation tous azimuts au phénomène djihadiste et aux nouveaux modes opératoires terroristes est devenu nécessaire, tant pour les personnels de sécurité publics et privés, que pour les magistrats et avocats non spécialisés. Ces derniers auront à traiter dans les prochaines années un contentieux de masse lié aux filières djihadistes ainsi qu’aux retours du théâtre des opérations terroristes, notamment de femmes et de mineurs.

Le retour des djihadistes du théâtre des opérations syro-irakien constitue une source de préoccupation. Cette perspective doit cependant être appréciée à sa juste mesure, notamment au regard de l’histoire moderne de l’engagement de combattants étrangers sur des terres de djihad. Le spectre d’un retour massif de djihadistes est improbable compte tenu des mesures préventives et dissuasives déjà mises en oeuvre ; ils se disperseront plus vraisemblablement dans d’autres régions, créant potentiellement des foyers de risques locaux ou régionaux. Pour ceux d’entre eux qui choisiront de revenir, il conviendra d’être sélectif dans le traitement de ces individus mais vigilants à l’égard de tous. Si certains expriment le désir de renoncer à leur engagement, et que d’autres reviennent pour des raisons de sécurité, notamment les femmes et les enfants, il ne faut pas pour autant céder à l’angélisme ; depuis sa création l’État Islamique s’est structuré pour frapper les pays occidentaux et les combattants européens sont les premiers vecteurs de cette menace globale. Ainsi depuis 2013, plus de 10% des revenants français ont été impliqués dans des projets terroristes. Face à cela, nous devons nous garder de solutions simplistes, voire contre-productives, comme la déchéance de nationalité ou l’interdiction du territoire, qui ne feraient que reporter le problème sur d’autres pays en privant nos services policiers et judiciaires de la capacité de mettre ces revenants hors d’état de nuire.


La dimension européenne de la lutte contre le terrorisme s’impose progressivement comme une réalité face à des filières et des réseaux transnationaux


La dimension européenne de la lutte contre le terrorisme s’impose progressivement comme une réalité face à des filières et des réseaux transnationaux. Outre le renforcement des contrôles aux frontières et la création d’un PNR (Passenger Name Record) européen, qui devrait être étendu au transport ferroviaire, maritime et terrestre, la mutualisation de capacités d’analyse et de prévention des États membres est devenue une priorité, avec la création d’une base de données et d’une plateforme d’échange et de traitement de l’information sur le terrorisme islamiste à vocation opérationnelle. Sur le plan judiciaire, les procédures de coopération et d’entraide en matière pénale devraient être facilitées et automatisées. Dans ce domaine, la France devra avoir un rôle moteur pour convaincre ses partenaires de mieux partager l’information.

Dans le domaine de la propagande djihadiste en ligne, la France pourrait être à l’origine d’une initiative internationale visant non pas à s’opposer frontalement aux grands acteurs de l’internet, par ailleurs protégés par leurs lois nationales, mais à leur donner les moyens, notamment juridiques, de lutter efficacement contre l’État Islamique virtuel. Il s’agirait de proposer à l’ONU, comme l’y autorisent les résolutions du Conseil de Sécurité relatives aux sanctions contre les organisations terroristes, la désignation des organes médiatiques ainsi que des publications diffusées sur internet et les réseaux sociaux qui participent à la propagande, au recrutement, au financement, à l’incitation, à la facilitation et à la préparation d’actes ou d’activités terroristes. La La dimension européenne de la lutte contre le terrorisme s’impose progressivement comme une réalité face à des filières et des réseaux transnationaux. La désignation de ces entités (une quinzaine d’organes médiatiques et de publications) «associées» à l’État Islamique, constituerait un levier très important pour assurer la suppression des contenus par les acteurs de l’internet.

Un autre axe concerne le financement du terrorisme. En dépit des revers militaires subis par l’État Islamique et de la contraction de son assise territoriale, réduisant mécaniquement son accès aux ressources naturelles, l’organisation parvient à maintenir un niveau de revenus élevé en pratiquant l’extorsion généralisée, et en recourant à des intermédiaires pour écouler ses productions. Les sanctions adoptées par l’ONU notamment le gel des avoirs, calquées sur celles qui s’appliquaient à al-Qaida, se sont révélées inefficaces contre le financement de l’État Islamique, dont le modèle économique est radicalement distinct. La mise en place d’un embargo sous régime de l’ONU visant l’ensemble des ressources acheminées et des transactions effectuées à partir du territoire contrôlé par l’État Islamique, permettrait non seulement de sanctionner les États, entités ou individus le violant, mais surtout de garantir son effectivité par les moyens de la coalition internationale, avec des exemptions humanitaires appropriées. Une telle mesure a déjà été mise en oeuvre par l’ONU en 1993 à l’encontre d’un autre acteur nonétatique, l’UNITA, qui exerçait à l’époque un contrôle territorial sur des champs pétroliers en Angola.

Sur le plan national, les récents attentats ont démontré l’usage récurrent, par les terroristes, de moyens de paiement et de communication anonymes, et la facilité avec laquelle ils ont pu déjouer la vigilance des opérateurs de crédits à la consommation. Un meilleur encadrement de ces services est devenu essentiel pour limiter l’anonymat, ainsi que des mesures visant à renforcer les obligations de vigilance des acteurs concernés. En raison de la nature transnationale du terrorisme, de telles mesures devraient également faire l’objet d’une harmonisation européenne pour être véritablement efficaces.

Enfin, il conviendra de mieux garantir le respect de la dignité des victimes et de leurs familles, tant dans le traitement médiatique des attentats que lorsqu’il est porté atteinte à leur mémoire par la contestation de crimes terroristes, dans des conditions s’apparentant à une forme de «révisionnisme». La France s’honorerait d’adopter des dispositions sanctionnant ces atteintes inacceptables, à l’instar de ce qui est fait dans plusieurs pays, notamment en Espagne, dont le code pénal réprime le fait «de discréditer, de mépriser ou d’humilier» les victimes du terrorisme ou leur famille.

Jean-Charles Brisard

Publié le 19 avril 2017

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