Source : Le Figaro

Les ministres de la Défense et de l'Intérieur visitent les lieux où les trois miliaires se sont fait agressés à l'arme blanche le 3 février. Crédits photo: VALERY HACHE/AFP

Les ministres de la Défense et de l’Intérieur visitent les lieux où les trois miliaires se sont fait agressés à l’arme blanche le 3 février.
Crédits photo: VALERY HACHE/AFP

 


FIGAROVOX/ENTRETIEN

Internet a donné une dimension nouvelle au terrorisme. Pour Jean-Charles Brisard, la mobilisation française ne suffit pas, l’enjeu est européen.

Jean-Charles Brisard est spécialiste du terrorisme et président du Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT).

Venu saluer les trois militaires attaqués à l’arme blanche à Nice, le ministre de l’Intérieur a déclaré que la France était confrontée à «un phénomène nouveau, le terrorisme en libre accès.» Comment définiriez-vous ce concept?

Ce qui est en libre accès, par le développement d’internet, c’est l’ensemble de l’information, des procédures et des outils nécessaires à un apprenti terroriste. Depuis une vingtaine d’années, les groupes djihadistes utilisent internet comme un outil de guerre psychologique, de propagande, de recrutement et de communication opérationnelle. Internet donne également accès à une base de données géante dont se servent les apprentis djihadistes pour préparer leur départ, comme les terroristes pour préparer leurs actes. La nouveauté tient donc surtout à l’ampleur de ce phénomène et de cette stratégie à travers les réseaux sociaux, à sa résonance et à son adaptation aux modes de pensée et de représentation du monde des candidats potentiels au djihad.

Le projet de loi de «lutte contre le terrorisme» porté par Cazeneuve et adopté par le Parlement au mois de novembre 2014 est-il suffisant?

Le projet de loi du gouvernement répondait à l’urgence d’agir face à un phénomène d’une ampleur sans précédent: celui des départs massifs de ressortissants ou résidents français pour le théâtre d’opérations terroriste syro-irakien. Il s’agissait pour la France de se «mettre à niveau», c’est-à-dire d’adapter la législation à ce phénomène ainsi qu’à celui du terrorisme individuel, comme d’autres pays l’avaient déjà fait auparavant. Je pense en particulier aux mesures visant à entraver les départs, à celles renforçant la lutte contre l’apologie du terrorisme, et celles qui visent à bloquer certains contenus sur internet. Cette loi était donc nécessaire. Est-elle suffisante?

Non parce que nous l’avons vu à l’occasion de plusieurs événements tragiques depuis les crimes de Mohamed Merah en 2012 jusqu’à ceux de Nice en passant par les attentats de Paris du début de l’année. Si les services de renseignement parviennent à détecter et à identifier les personnes à risque, beaucoup reste à faire dans le domaine de la surveillance et du suivi de ces individus. Le gouvernement a annoncé le renforcement des moyens humains des services, mais il convient d’aller plus loin en donnant à ces services un cadre juridique et des outils, notamment techniques.

Si les services de renseignement parviennent à détecter et à identifier les personne à risque, beaucoup reste à faire dans le domaine de la surveillance et du suivi de ces individus.

A Nice, Bernard Cazeneuve a précisé que «1 200 ressortissants français sont allés en Irak et en Syrie, 580 y sont allés et en sont revenus,

200 veulent y aller. Et 185 sont quelque part en Europe sur le chemin pour y aller». Le ministre propose la mobilisation de moyens exceptionnels. Il s’est pourtant opposé à la possibilité d’interdire le retour des français partir faire le djihad à l’étranger. Que faut-il faire?

Plusieurs pays mettent d’ores et déjà en oeuvre des mesures de ce type, notamment la déchéance de la nationalité pour les binationaux, mais que constate-t-on? D’abord, les individus concernés ne renoncent pas au terrorisme, c’est donc reporter le problème sur d’autres pays. Ensuite, cette mesure empêcherait nos services, policiers et judiciaires, de les mettre hors d’état de nuire, dès lors qu’ils seraient à l’étranger.

Les individus concernés ne renoncent pas au terrorisme, c’est donc reporter le problème sur d’autres pays.

Enfin, nous l’avons constaté avec plusieurs terroristes condamnés en France et déchus de leur nationalité française, notamment Djamel Beghal, mentor d’Amédy Coulibaly et de Chérif Kouachi, certains n’ont toujours pas pu être expulsés en raison de l’opposition de la Cour Européenne des droits de l’homme qui invoque des risques de traitements inhumains et dégradants pour refuser leur expulsion, notamment vers l’Algérie. Il n’est pas seul dans ce cas, et donc ces personnes, pourtant déchues de la nationalité française, sont toujours sur le territoire national.

S’agissant du phénomène djihadiste, la seule mobilisation de nos services ne sera pas suffisante. Nous sommes confrontés à un phénomène européen, qui touche quasiment tous les pays de l’Union européenne (Plus de 4.000 ressortissants ou résidents de l’UE provenant de 20 pays) qui nécessite donc que les institutions européennes prennent un rôle actif et opérationnel, notamment pour harmoniser les législations européennes, systématiser l’échange d’information, mettre en place un PNR européen, renforcer les contrôles aux frontières de Schengen… Cette prise de conscience européenne est un impératif, au-delà des mesures nationales qui peuvent être prises. En effet, le risque est qu’à l’instar de ce qui s’est produit après les attentats de Madrid en 2004, les déclarations d’intention demeurent pour l’essentiel lettre morte et se traduisent par l’adoption de mesures minimalistes sur le plan européen. Considérer les attentats de Paris comme un épiphénomène national ou un 11 septembre français comme on a pu le lire, serait une tragique erreur d’analyse. L’enjeu est européen et nécessite une réponse commune.

Anne-Laure Debaecker

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